Il y a quelques jours, alors que je répondais à une magnifique interview, une question m’a sauté aux yeux – la sale bête. Je l’ai attrapée juste pour vous la montrer. Késako ? La voilà :
Y a-t-il un endroit, un moment de la journée qui vous est plus propice à l’écriture ?
Ce qui est dingue, c’est que si on m’avait posé cette question deux ans auparavant, j’aurais répondu que je ne pouvais pas écrire autre part que là où mes petites fesses avaient fossilisé – dans la mousse d’un tabouret de bar à hauteur de mon bureau sacré. Là où je sacrifiais des personnages imaginaires pour offrande à ma muse. Ah oui, et détail très important : il était impératif que ça se passe la nuit – et encore mieux, un soir de pleine lune !
Aujourd’hui, je me rends compte que c’était la parfaite excuse pour ne pas écrire. Quand c’était le matin, je me disais que ce n’était pas mon moment, et que je n’allais pas y arriver. Si je ne me trouvais pas chez moi, où s’il y avait du monde autour de mon bureau, alors ce n’était pas la peine que j’ouvre mon ordinateur. Quand j’y repense, j’étais un sacré ramollo du stylo ! Sans compter que j’étais souvent fatigué le soir – bah oui, puisque c’était la fin d’une dure journée ! Sincèrement, j’alignais plus les bâillements que les phrases… En clair, ces habitudes que je croyais essentielles à mon écriture n’étaient que des excuses pour ne pas m’y mettre pleinement. L’écriture, bien qu’une passion demande beaucoup de travail et d’attention. Le cerveau a une fâcheuse tendance à se tourner vers ce qui nous demande le moins d’énergie possible.
D’ailleurs, les résultats d’une recherche scientifique publiés dans Neuropsychologia suggèrent que nos cerveaux sont plutôt câblés pour préférer rester sur le canapé. Ce phénomène s’explique aussi par l’évolution et l’économie de l’énergie essentielle à notre survie. Bref, si vous réagissez trop tard, on vous retrouvera étouffé sous une bonne couche de plaids !
Alors, y-a-t-il un moment et un endroit ?
Oui et non.
Commençons par l’endroit. Actuellement – là, tout de suite – j’écris cet article dans mon salon. Ma compagne est en train de passer l’aspirateur derrière moi, et ma plus jeune fille gazouille gentiment dans son aire de jeu. Autant dire que je n’écris pas dans la situation la plus favorable. Mais j’écris quand même. C’est quelque chose que je n’aurai jamais cru possible il y a deux ans, et pourtant je suis en train de le faire. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de lieu miracle où faire son pèlerinage romanesque. Bien entendu, il est important de se mettre dans sa bulle et c’est plus facile dans le calme, mais on peut aussi apprendre à s’enfermer au milieu de la foule. C’est une habitude à prendre à force de pratique. Le cerveau est un muscle, si vous n’arrivez absolument pas à écrire au milieu du bruit, vous pouvez vous entrainer à vous concentrer grâce à des exercices.
Le moment, lui, est véritable. Les statistiques montrent que le travail du matin est plus bénéfique que le travail du soir (le cerveau est plus performant). C’est normal, puisque nous ne disposons pas de la même énergie le matin que le soir. Peu importe votre rythme circadien, vous serez toujours plus rentable avant midi. Pour ma part, je me suis imposé un rythme d’écriture de 9h à 13h tous les jours, et je dois avouer que je sors 2000 à 4000 mots chaque matin. J’ai compris que se coucher tard le soir est une fuite en avant qui annonce la débâcle. On croit dégager de grandes plages horaires de travail, mais ce temps est pris sur le temps de sommeil et la journée entière du lendemain sera fichue. On gagne deux heures à faible rendement le soir même, et on diminue de moitié le rendement des huit ou dix heures de travail du lendemain, soit quatre à cinq heures de perdues : le bilan général n’est guère positif… Il aurait mieux valu ne rien faire et être allé se coucher.
En bref, il faut arrêter de se mentir. Écrire dans un superbe bureau tapissé de tableaux et de bibliothèques ne vous aidera pas plus à écrire que sur le banc d’une gare. Attendre que le soleil se couche en se disant qu’on est plutôt du soir ne vous transformera jamais en écrivain-garou prêt à tout déchirer.
Réglez votre réveil avant 8 heures et écrivez en toutes circonstances. Il n’y a pas de formule plus magique que celle-ci.
Et n’oubliez jamais de sourire !
Valentin Auwercx